C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que Ivo Andric écrit La Chronique de Belgrade, un roman-chronique qui s'étend du début du XXe siècle jusqu'en 1944. À travers le portrait de « petites gens » l'auteur décrit la transformation de la société et l'évolution des mentalités et des relations au sein de la famille. Se dessine ainsi en filigrane le portrait imaginaire de Belgrade en une construction littéraire de son histoire récente.
De Portrait de famille qui évoque des relations familiales compliquées, jusqu'à Zeko, qui raconte l'histoire dissolue d'un personnage et de sa ville, La Chronique constitue un témoignage littéraire sur une époque troublée, sur les changements dramatiques et les circonstances tragiques qui ont affecté tant le monde extérieur que l'âme des individus.
Purextase plonge le lecteur dans l'underground des années 1990 et 2010, entre la Russie et l'Allemagne. Tollian, célèbre rappeur, est en tournée à Dortmund quand une rencontre imprévisible fait ressurgir son passé. On le retrouve à Rostov-sur-le-Don en 1990, où règnent le trafic de stupéfiants, le chômage, et la guerre en Tchétchénie. Tollian se démarque des autres par son don d'écrire du rap sans trop y croire.
De l'hôpital psychiatrique il va tout droit au monastère d'où il est tiré par une jeune femme qui croit en son talent. Il se met à écrire du rap, guérit de la dépendance narcotique, devient célèbre et découvre qu'il y a d'autres extases que celle procurée par la drogue : celles de la création et de l'amour. Un roman sur la recherche de soi et la possibilité de la rédemption
Les vingt-cinq nouvelles présentées ont été publiées par Anton Tchekhov entre 1883 et 1887 dans des revues humoristiques de l'époque et certaines ont fait partie de recueils (Contes de Melpomène, 1884, Nouvelles bariolées, 1886, et Dans la pénombre, 1887) qui ont eu un beau succès populaire. Remarqué par un des meilleurs critiques de l'époque qui lui propose un « vrai travail » littéraire, Tchekhov se consacre désormais à l'écriture. Le lecteur devinera ici des larmes silencieuses, ces larmes invisibles qui vont tant caractériser toute l'oeuvre de Tchékhov. Comme une vieille collection de photographies, elles nous apprennent bien des choses sur la société dans laquelle il vit. Ses personnages sont les champions de l'ennui et de l'échec, et leurs amours s'achèvent souvent en queue de poisson. Comme à son habitude, il maîtrise ses personnages, attachants ou caricaturaux. Avec une sensibilité impressionniste, et avec aisance, il passe du petit notable cupide au pauvre qui joue le noyé pour gagner quelques kopecks ou à l'amant hébergé par sa maîtresse sous les yeux de son mari. Tchekhov parle de l'humanité, des êtres humains, observés minutieusement dans leur quotidien ;il dissèque les apparences, sans porter de jugement, tout en éprouvant une immense compassion pour ses personnages. Son regard est empreint d'une certaine tendresse mêlée de compréhension lorsqu'il parle du propriétaire terrien mort d'ennui en lisant Tourgueniev ou du mari humilié par sa femme devant les invités à un dîner improvisé. De nouvelle en nouvelle, le lecteur perçoit très nettement le changement de tonalité et de style de Tchekhov. L'effet purement comique du début disparaît au fil du recueil pour annoncer la tristesse de La Cerisaie.
Les Petrov raconte quelques jours dans la vie d'une famille ordinaire en Russie post-soviétique.
Souffrant d'une grippe intense, Petrov est entraîné par un ami dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d'enfance de Petrov ressurgissent et se confondent avec le présent.
Si au premier regard le couple Petrov ne se distingue guère, la face cachée de leur vie a de quoi étonner. Le mécanicien Petrov dessine des BD et croise régulièrement la route d'un homme étrange. La bibliothécaire Petrova passe son temps à assassiner des hommes ayant fait du tort à d'autres femmes.
Le succès critique et populaire des Petrov est dû à la prose imagée, décalée, drôle et très vivante de Salnikov.
Adapté au cinéma par Kirill Serebrennikov.
Les quatorze nouvelles de ce recueil sonnent, tels des éclats d'un miroir brisé reflétant les drames du XXe siècle, comme un appel au devoir de mémoire. Chacune d'entre elle correspond à un moment singulier de cette montée de la barbarie, du martyre des Slovènes dans l'Italie fasciste aux rescapés des camps de la mort. Alors que l'atrocité et la cruauté des hommes sont la toile de fond de ce livre superbe, l'auteur ne cède jamais au désespoir, et nous livre un regard tour à tour désabusé, ironique ou tendre. Une leçon d'humanité inoubliable.
Béla est un enfant livré à lui-même dans la Hongrie des années 1920. Après avoir vainement essayé de s'en débarrasser pendant la grossesse, sa mère le confie à la « Tante Rozika », vieille prostituée et « faiseuse d'anges ». Là, seules ses ressources d'ingéniosité et d'humour lui permettent d'affronter le froid, la faim, les humiliations et l'injustice. A quatorze ans, il rejoint sa mère à Budapest, où il va connaître à la fois la vie humaine des faubourgs et l'atmosphère corrompue des palaces, l'amour idéal, le sexe et toutes sortes d'aventures étranges qui seront autant de tournants dans sa vie. En partie autobiographique, ce livre aux accents dickensiens nous plonge dans un univers où chaque individu brûle de vitalité.
Les Jours de Saveli est un petit traité de survie, écrit de manière très originale de la perspective d'un chat, mélange de tendresse, d'humour, de tristesse et de résignation, véritable métaphore de la vie humaine. Le chat Saveli nait dans une cour d'immeuble délabré et ouvre les yeux dès l'instant où il vient au monde. Doué d'une curiosité insatiable, Saveli met son museau dans chaque recoin, attentif à tout et attiré par des lieux inconnus. Du jour où Vitia le prend chez lui, les aventures s'enchaînent: il devient notamment employé officiel de la galerie Tretiakov et le colocataire d'un perroquet fou
Comme Doubar (éditions des Syrtes, 2021), ce recueil de cinq récits est consacré aux camps staliniens où l'auteur a passé quatorze ans de sa vie (1938-1952). Rescapé de la Kolyma, Demidov en a expérimenté et observé le fonctionnement dans ses infimes détails en tant qu'acteur et victime. Son expérience est divisée en séquences peuplées de personnages dont les situations illustrent toutes les facettes de la vie des camps. Il donne ainsi un tableau extrêmement précis de cet univers concentrationnaire. En tant que témoin fiable et impartial Demidov apporte ce qui n'est documenté par aucune archive historique : les sentiments, les émotions, les stratégies de survie...
Ces récits constituent un témoignage littéraire de valeur inestimable non seulement sur les faits et les pratiques des camps, mais également, sur les particularités de l'imaginaire des bagnards. Malgré la dureté déshumanisante de la routine des camps, ils connaissent des sentiments forts, notamment l'amour. À travers cette mise en scène de l'extraordinaire, Demidov parvient à dire la terrible « banalité » du Goulag
C'est en 1935, après avoir sillonné l'Europe et la Palestine, que Vladimir Jabotinsky entreprend un voyage imaginaire dans la ville d'Odessa qui l'avait vu naître quelque cinquante-cinq ans plus tôt. Il est alors l'un des leaders de l'Organisation sioniste mondiale, mais aussi l'auteur de feuilletons littéraires qui passionnent les lecteurs des Nouvelles d'Odessa. Publié à Paris dans la revue de l'émigration Rassviet, en 1936, mais jamais traduit en français, Les Cinq est un hymne élégiaque à l'Odessa de sa jeunesse, qu'il ne reverra jamais. Il dépeint le monde perdu des juifs dans toute sa couleur et sa vitalité, sa vulnérabilité historique et son éternel optimisme. L'histoire de la famille Milgrom au tournant du siècle se confond avec le destin de sa ville. Les cinq frères et soeurs, pris dans la tourmente, vivront, chacun à sa manière, la confusion et la décadence de ce monde qui disparaîtra bientôt dans les secousses de l'Histoire. Rarement l'amour d'une ville et le présage de sa fin se sont mariés de manière aussi poignante que dans ce merveilleux roman, dont certaines pages comptent parmi les plus belles de la littérature russe. La langue savoureuse et subtile, aux tournures baroques et aux emprunts du yiddish, du polonais ou de l'ukrainien, rattache Jabotinsky aux grands écrivains odessites, tels Isaac Babel ou Valentin Kataïev ; et Les Cinq nous apparaît ici comme un chef d'oeuvre de la littérature européenne.
Innokenti Platonov se réveille amnésique dans une chambre d'hôpital. Geiger, son médecin, lui apprend son nom et lui demande de coucher sur le papier tout ce dont il pourra se souvenir. Les premiers épisodes remémorés décrivent l'enfance de Platonov dans la Russie tsariste : il se souvient être né en 1900, près de Saint-Pétersbourg. Son père meurt en 1917. Parallèlement, Platonov devine, atterré, qu'il s'est réveillé en 1999...
C'est ensuite le Pétersbourg des années 1920 qu'il se remémore, avec la famine et le désarroi d'après Révolution. En 1921, Platonov et sa mère emménagent dans le logement du professeur de théologie Voronine, Platonov tombe amoureux d'Anastasia, sa fille. Vivant dans le même appartement commu- nautaire qu'eux, Zaretski dénonce le père d'Anastasia, qui sera arrêté et exécuté par la Guépéou. Peu de temps après, à son tour, Zaretski meurt assassiné. Faute d'autre suspect, la police politique arrête Platonov et lui tire une confession au cours d'une séance de torture.
Platonov se souvient enfin d'avoir été envoyé, dès le début des années 1930, dans un camp de travail sur les îles Solovki où est installée l'équipe d'un laboratoire de recherche qui travaille sur la cryogénisation des humains. Pour échapper aux horreurs du camp, Platonov accepte d'être cryogénisé, persuadé qu'il ne se réveillera plus. C'est ainsi que Geiger le retrouve et parvient à le ressusciter soixante ans plus tard.
L'Aviateur est un roman porteur de réflexions philosophiques profondes, dans un style fluide, laconique et précis. La remémoration fragmentaire est un moteur puissant pour le lecteur. Voué tout entier au thème de la mémoire, le récit est empreint d'une nostalgie poignante. Le fantastique devient prétexte à une réflexion littéraire et philosophique : chaque époque détermine notre vision du monde.
Enfin, le roman offre un regard décalé sur la société de spectacle, où même la tragédie d'un rescapé des camps soviétiques donne lieu à un show.
La Veilleuse des Solovki de Boris Chiriaev est l'oeuvre d'une vie. L'auteur a consacré vingt-cinq ans de son existence pour rédiger ce qu'il nomme une " chronique des temps de naufrage " de la Russie post-révolutionnaire.Chiriaev arrive aux Solovki en 1923. Le monastère de l'archipel Solovki, symbole du monachisme orthodoxe, était devenu, après 1917, un bagne au régime dur où régnait l'arbitraire. On assiste, avec Chiriaev, à la naissance du système concentrationnaire soviétique et du premier camp de travaux forcés. On découvre ainsi les balbutiements de ce qui allait devenir le symbole même de la répression bolchevique, car les autorités n'avaient pas encore compris les avantages économiques du travail forcé. En cela, le témoignage de Chiriaev est exemplaire ; les " maladresses " du début ont cédé la place, à partir de 1925, à un système d'extermination par les conditions de travail. 15 000 à 20 000 prisonniers vivaient aux Solovki et 10 000 y mourraient chaque année, de scorbut, de faim ou de typhus. La population y était mélangée, le clergé côtoyait l'intelligentsia ou les " droits communs "." Nous sommes aussi des hommes " est le chapitre le plus révélateur de l'état d'esprit de Chiriaev : des pièces de théâtre ou des journaux voient le jour dans ce bagne, car le travail intellectuel est " l'acte de l'esprit ". Chiriaev donne le premier rôle à l'homme qui, même dans les pires moments, peut rester un humain. Il souligne ainsi le caractère paradoxal du camp des Solovki dans les premières années de son existence : à la réalité terrible du bagne s'allie une extraordinaire effervescence intellectuelle et artistique encore possible ces années-là.Un autre chapitre, le plus surprenant, est consacré à l'épopée d'un village de " vieux croyants " isolés au milieu des forêts qui, rejetant le pouvoir soviétique, ont élu leur propre tsar et défendu leurs traditions avant de se retrouver aux Solovki.L'ouvrage a été publié pour la première fois en 1954 aux éditions Tchekhov à New York, en langue russe. Il n'est paru en Russie qu'en 2000, au monastère Sretenski de Moscou.
Le roman de Nikolaï Leskov À couteaux tirés, jusqu'ici inédit en français, était une lacune importante des classiques russes dans notre langue. Ce roman occupe une place à part non seulement dans l'oeuvre de Nikolaï Leskov, mais d'une manière plus générale dans la littérature russe de son époque. Mais s'il mérite notre intérêt par ses qualités littéraires intrinsèques autant que par l'éclairage qu'il apporte sur la « Russie souterraine », celle qui annonce et prépare les révolutions du siècle suivant, À couteaux tirés nous concerne surtout par sa foudroyante actualité. C'est sans doute à cause de cette étonnante force d'anticipation qu'il a été si violemment incompris en son temps.
Autant les personnages que l'intrigue policière semblent sortis des chroniques de la criminalité ordi- naire de la Russie d'aujourd'hui. Mais à la différence de tant de récits à sensation inspirés par des faits divers, le roman de Leskov subjugue par la puissance de l'évocation et par la magie de l'écriture. Dès sa parution dans Le Messager russe de Katkov (1870-1871), le nouveau roman antinihiliste de Leskov connut un grand succès auprès des lecteurs, mais fut conspué par la presse « démocratique » qui faisait alors la loi dans les milieux littéraires. Il faudra attendre sa réédition en 1994 pour que ce texte soit enfin reconnu à sa juste valeur.
Le roman de Leskov est à mettre au côté des Démons de Dostoïevski, car ce sont les deux grands romans antinihilistes qui ont dressé le bilan des terribles années 1860, années au cours desquelles, après l'échec des réformes, la Russie a basculé dans le chaos. Comme l'écrivait Tkatchev dans la revue Dielo :
« Au fond, Les Démons et À couteaux tirés ne sont qu'une seule et même oeuvre, bien qu'écrite par des auteurs différents. » Dans un registre plus contrasté que celui de Dostoïevski, Leskov décrit l'atmos- phère d'une société déboussolée qui est « à couteaux tirés ».
Rarement l'implosion d'une société au bord de la catastrophe n'a été montrée avec autant de profon- deur et d'acuité. Comme Dostoïevski, mais d'une manière beaucoup plus indirecte et métaphorique, Leskov s'inspire de l'affaire Netchaev, ce révolutionnaire qui avait anticipé la terreur bolchevique en assurant son emprise sur son groupe par le meurtre délibéré de l'un de ses membres, entraînant ainsi un sentiment de culpabilité collective.
Devenir un livre culte. Roman de la tragédie russe après l'avènement de la dictature bolchevique, il évoque les derniers feux d'une noblesse héroïque et d'une intelligentsia idéaliste qui tentent de survivre sous la terreur stalinienne. Le lecteur suit les destins entrelacés d'une illustre famille et d'une foule de personnages dans leur quotidien harassant: vente de maigres biens pour survivre, car le travail leur est interdit, assignation à résidence, prisons ou camps.
Ce sont des individus aux abois, traqués par les dénonciations, les interrogatoires et les arrestations arbitraires. Poursuivis par la Guépéou, exilés, persécutés, exécutés, aucun n'échappera au rouleau compresseur soviétique. Mais Les Vaincus est aussi une sublime histoire d'amour, celle d'une princesse en haillons, et le lecteur est emporté par l'émotion que suscite ce drame puissant. Dans cette fresque historique aux dimensions de l'épopée tout est véridique et prend valeur de témoignage.
L'auteur a su ériger l'expérience de toute une génération en une oeuvre littéraire d'une terrible intensité dans la lignée des grands romans russes du XIXe siècle.
Soloviov est un jeune historien qui rédige une thèse sur la vie de Larionov ; il cherche à comprendre pourquoi ce général de l'Armée blanche, une fois tombé aux mains des Rouges, non seulement n'a pas été exécuté, mais a même reçu une pension des Soviétiques. Parti à Yalta sur les traces de son héros, Soloviov est précipité dans une cascade d'événements tous plus rocambolesques les uns que les autres.
Vodolazkine offre un roman décalé et plein d'humour, qui se moque avec tendresse du sérieux du monde universitaire, et où sont déjà présentes toutes les caractéristiques de ses oeuvres ultérieures: un style parfaitement maîtrisé, une intrigue prenante, des personnages attachants, complexes et entiers à la fois, ainsi qu'une réflexion sur le temps qui déstabilise le lecteur.
La Rose des vents est un roman d'aventures inspiré de faits réels. Tandis qu'aux États-Unis la conquête de l'Ouest bat son plein, l'Empire russe est engagé dans une course pour asseoir sa puissance dans l'Extrême-Orient et sur la côte pacifique. C'est alors que le tsar confie une mission d'importance au navigateur Guennadi Nevelskoï. Le 12 mai 1849, le navire Baïkal entre dans la baie d'Avatcha, mais un changement de destination intervient et le vrai but de l'expédition est révélé. En lisant ce roman aux nombreuses péripéties, à la trame sentimentale discrète et plein de suspens, on a le sentiment de toucher du doigt ce qu'il faut d'efforts, d'ingéniosité, d'intrigues, de hasards... pour parvenir à une décision politique et humaine à l'effet déterminant sur l'histoire du monde.
Théodora Dimova explore les stigmates laissés par l'épuration sanguinaire lors de l'arrivée au pouvoir des communistes, en 1944. Un tribunal populaire juge sommairement l'élite qualifiée de "monarchofasciste".
Ces mois de terreur, de disparitions, d'assassinats, sont évoqués par trois femmes et une petite fille dont les maris et père sont abattus. Elles se retrouvent lors d'un matin froid de février 1945, au bord de la fosse dans laquelle on a jeté les corps de ces hommes qu'elles aimaient.
Les Dévastés est un portrait collectif de l'élite bulgare détruite par la terreur et le portrait d'une société dans laquelle la tragédie était le plus souvent un secret profondément caché. L'écriture de Dimova tient en haleine, bouleverse et chamboule jusqu'à la dernière page.
Les Récits de la Perdition mettent en scène la vie et les tribulations des membres de la petite société locale composée d'une cinquante de révolutionnaires qui purgèrent leur exil dans la Kolyma au cours de la dernière décennie du XIXe siècle et dont l'auteur fit partie. Ils évoquent, avec humour et tendresse, les différents aspects de la vie de cette poignée de citadins éduqués, tous originaires de la partie européenne de la Russie. Autant de bannis pour raisons politiques immergés dans une nature boréale extrême, peuplé de Yakoutes, de vieux colons russes et de Cosaques.
En même temps qu'ils s'imposent de par leur force littéraire ces Récits de la Perdition accordent d'entrevoir ce que furent les âpres conditions des hommes et des femmes expédiées sur les rives de la Kolyma.
Pétersbourg, le chef-d'oeuvre de Biely et l'un des grands romans européens du XX e siècle, évoque les balbutiements de la révolution d'Octobre. Il est bâti sur vingt-quatre heures d'attente d'un acte terroriste confié par le Parti à Nikolaï, le fils même de la future victime, le Sénateur Apollon Apollonovitch Ableoukov. Pendant de nombreuses pages, le lecteur suit les différents personnages, vivant plus ou moins bien les heures qui précèdent l'attentat : le vieux sénateur dépoussière sa bibliothèque ; ailleurs, un meurtre est commis ; quant à Nikolaï, engagé, naguère, en faveur d'un acte politique d'envergure, il se demande à quel saint se vouer. À vingt pages de la fin, un terrible coup de théâtre vient secouer une intrigue qui se perd dans ses propres méandres :
La bombe a disparu. On assiste même aux retrouvailles entre Nikolaï et sa mère (alors qu'elle a quitté le domicile familial deux ans auparavant au bras d'un Italien).
Porté par des phrases folles, on parcourt la ville à cent à l'heure, et l'oeil de Biely passe sur les choses sans jamais s'arrêter ; il lui arrive de trembler, de sortir du cadre, d'explorer les consciences des uns, l'inconscient des autres, et promener un oeil prophétique sur l'Union soviétique...
Inspiré par les événements de 1905 dans la capitale russe, écrit entre 1910 et 1913, publié en 1916 puis remanié en 1922, tout dans Pétersbourg est machination, suspense, infiltration, prémo- nition d'une apocalypse finale. Mais c'est aussi une épopée délirante, loufoque, grotesque, parfois à la limite du carnavalesque ; le plus souvent, simplement monstrueuse.
Tenu par Thomas Mann pour un immense chef-d'oeuvre, Le Soleil des morts est un récit autobiographique déchirant. Pendant la guerre civile russe, un réfugié en Crimée attend la venue de son fils qui combat sur le front. En vain : celui-ci sera capturé et torturé jusqu'à la mort par les révolutionnaires. Chméliov décrit la lente descente aux enfers de tout un monde, avec un sens poétique rare et une retenue qui donnent à ce texte une force unique.
En 1890, le marxiste Georges Plekhanov notait combien fut réelle l'influence de Tchernychevski et de son Que faire ? - écrit et publié en 1863 - sur des générations de révolutionnaires russes :
« Qui n'a lu et relu ce livre fameux ? Qui n'a subi son attrait et son influence bénéfique, qui ne s'est purifié, amélioré, fortifié, enhardi ? Qui, après avoir lu ce roman, n'a réfléchi sur sa propre vie, n'a pas soumis ses propres aspirations et inclinations à un examen rigoureux ? Nous en avons tiré la force morale et la foi en un avenir meilleur. » Rééditer Que faire ? aujourd'hui c'est permettre de retrouver ces années 1850-1860, une période charnière où émerge en Russie l'intelligentsia, un nouveau groupe social ouvert à la pensée politique occidentale, tout en restant arc-bouté sur les refus slavophiles envers la culture libérale bourgeoise européenne.
À l'évidence, ce roman politique est un marqueur dans l'histoire du bolchevisme. On connaît d'ailleurs son impact sur la structure mentale du jeune Lénine. Que faire ? témoigne d'une ébauche de rapprochement entre les trois éléments fondamentaux de l'orthodoxie communiste : la promesse de perfection contenue dans l'utopie, la violence rédemptrice et la sacralisation de la connaissance du mouvement historique et de ses lois.
Nikolaï Tchernychevski est un philosophe, critique et écrivain russe, collaborateur notamment de la revue Sovremennik (Le Contemporain). Emprisonné en 1862 pour avoir appelé les paysans à la révolte, Tchernychevski écrit en détention son ouvrage le plus célèbre, Que faire ? Il y expose son idéal de vie et sa vision d'un socialisme qui le rend proche des utopistes. Portée aux nues par l'intelligentsia progressiste et révolutionnaire, la conception du monde de Tchernychevski sera la cible de Dostoïevski, dans Crime et châtiment notamment. Jugé et exilé en Sibérie en 1864, Tchernychevski pourra revenir dans sa ville natale en 1889, année de sa mort.
Cette réédition est précédée d'un avant-propos inédit de Vassili Rozanov.
Un chef-d'oeuvre absolu de la littérature russe du XXe siècle et de la littérature de l'enfance Paru en 1917, Kotik Letaïev est une autobiographie poétique, épopée intérieure de l'enfance sur les trois premières années de la vie de son auteur, Andreï Biely. Le héros, Kotik (diminutif de Konstantin qui signifie également chaton) Letaïev est un enfant précoce qui, depuis son plus jeune âge est familiarisé avec les trésors de la culture. Un jour, poussé par une nostalgie toujours plus grande, il part vers l'inconnu. Le récit, à la première personne, a d'une part le charme naïf d'un discours enfantin au travers duquel se recompose la ville Moscou de la fin du XIXe siècle, et d'autre part l'inquiétant surréalisme d'un parcours initiatique conduisant sa victime par le dédale des mythes.
Un gardien de camp tatare, victime comme ses prisonniers de l'isolement ; un jeune procureur qui, plein d'enthousiasme et de naïveté, croit encore à la justice ; un peintre détenu et dont l'univers carcéral devient le modèle obsessionnel de ses toiles ; un ancien chanteur d'avenir qui ne chante plus que pour la mort dans un terrible camp de la Kolyma... Tels sont quelquesuns des personnages que Demidov fait revivre avec une puissance d'évocation exceptionnelle dans ces cinq récits : Doubar (1966), Le peintre Bacille et son chefd'oeuvre (1972), L'amok (1965), Au bruit de l'ardent métal (1973), Deux procureurs (1969-1974). Des histoires d'hommes qui, devenus les jouets tragiques de la folie stalinienne, témoignent grâce au talent d'un authentique écrivain.
Le Livre des nombres est un roman monumental : à la fois fresque d'une époque, saga familiale, monographie d'un village d'Europe centrale, depuis 1900, en passant par les tragiques années 1950 et l'instauration du régime communiste et jusqu'à nos jours. Le lecteur assiste à l'entreprise d'un homme qui se lance dans l'écriture du roman de sa famille dans un village de Transylvanie. Peu à peu, se dévoile à lui une histoire impressionnante sur quatre générations de deux familles apparentées.
Dans une construction littéraire originale, les personnages se racontent afin de reconstituer un arbre généalogique séculaire, bien ancré dans la terre, et sur les branches duquel il y a des noms que l'histoire n'a pas retenus. Faulkner et son Bruit et la Fureur ne sont jamais loin...
Cette correspondance révèle une facette méconnue de la personnalité de Maxime Gorki, qui a entretenu des relations fortes avec ses fils. Elle dévoile son intimité au-delà du mythe forgé par la propagande soviétique. On y trouve des conseils, des reproches, l'humour et la poésie d'un père aimant qui tente de transmettre à ses fils ses valeurs d'humanisme et de travail, partage ses pensées les plus critiques sur le siècle, la guerre et la révolution, sa vision du monde et de la littérature. Si les échanges avec son fils légitime Maxime ont un ton plus intime, avec Zinovi, son fils adoptif, des désaccords surgissent notamment sur son engagement militaire. La liberté de l'expression et la sincérité qui y préside éclairent la personnalité de l'écrivain, ses convictions et ses errements.