Soixante ans après les accords d'Évian paraît le premier dictionnaire consacré à la guerre d'Algérie, rédigé par les meilleurs spécialistes de la période, algériens et français.
"Soixante ans après la fin de la guerre d'Algérie, les enjeux mémoriels liés à l'histoire de ce conflit ont alimenté autant de débats que de controverses. La recherche historique n'a cessé de progresser durant cette période. Mais il manquait un ouvrage d'une ampleur suffisante pour permettre, dans un contexte resté passionnel, de traiter du sujet sous tous ses angles, en puisant dans une bibliographie désormais abondante et en se fondant sur les acquis de la recherche, avec le souci d'objectivité et d'exigence intellectuelle qui seul peut aider à faire progresser la connaissance.
Cet ouvrage, le voici. Le fruit d'un long travail qui réussit à embrasser sans tabou l'ensemble des thèmes et des données à la fois militaires, politiques, sociologiques et intellectuels liés au dernier épisode de la période coloniale. L'un des mérites de ses maîtres d'oeuvre, Sylvie Thénault, Ouanassa Siari Tengour et Tramor Quemeneur, est d'avoir su regrouper autour d'eux des historiens et chercheurs de provenances multiples, de convictions diverses et parfois opposées. Là où les mythes l'emportent encore trop souvent sur la vérité des faits, cette pluralité des approches était non seulement nécessaire mais indispensable au crédit d'une telle entreprise.
Événement éditorial, ce Dictionnaire, par son ambition et sa richesse exceptionnelles, répondra aux légitimes attentes de tous ceux qui, sur les deux rives de la Méditerranée, n'aspirent qu'à mieux comprendre l'histoire complexe de cette guerre." Jean-Luc Barré.
La France aussi possède son Livre des Rois. Il commence de s'écrire durant près de cinq siècles réputés obscurs, ce haut Moyen Âge où réalité et légende s'entremêlent. Traversé de contrastes saisissants, il met en scène une galerie de rois dont quelques-uns, au prix d'anachronismes et de déformations, constituent comme l'alphabet de l'histoire nationale.
De la fin du Ve siècle au début du XIe, des Mérovingiens aux Carolingiens et aux premiers Capétiens, une continuité se dessine, au-delà de conjonctures mouvementées, et parfois violentes. Le royaume des Francs se forme, s'étend et s'enracine. En cette haute époque, l'obscurité, pour nous, demeure épaisse. Peu nombreux sont les médiévistes qui s'y aventurent. Pourtant, des rais de lumière viennent éclairer, de siècle en siècle, les règnes et les rois. Parmi ces derniers, certains émergent, par leur action et leur rayonnement en leur temps ; aussi, voire surtout, par les traces qu'ils ont imprimées dans la mémoire collective. Leur existence réelle se double alors d'une vie légendaire qui ne pèse pas moins que l'autre dans l'histoire. Ainsi nous souvenons-nous, fût-ce seulement par leurs noms, de Clovis et Dagobert, de Charlemagne ou de Hugues Capet, ces rois des Francs que le Christ aurait choisis pour les gouverner.
Le présent volume part à la recherche de ces personnages, dans un parcours intellectuel et chronologique où la rigueur n'empêche pas la liberté de ton et un beau souci d'écriture. Dans un dialogue entre les faits et les images, il éclaire un passé trop enfoui et peut réserver quelques surprises heureuses. Alors se découvrent des éléments et des caractères originaux qui, rétrospectivement, seront placés aux fondements de la nation française, et ont nourri sa tradition.
Michelle Perrot est une des plus grandes historiennes contemporaines. Ses travaux, pionniers en matière d'histoire sociale, d'histoire des marges, des femmes et du genre, ont puissamment contribué à renouveler la discipline et ses objets. Les trois séquences qui rythment ce volume correspondent à ses thèmes de prédilection : ouvriers, marges et murs, femmes.
S'intéressant à travers eux à des figures de dominés, longtemps ignorés par les chercheurs, elle explore les traces à demi effacées de vies ordinaires qui, elles aussi, ont fait l'histoire : celles des ouvriers en grève ou des détenus du XIXe siècle, celles des enfants des rues, vagabonds ou autres Apaches de la Belle Époque. Celles enfin des femmes, toujours inscrites dans la diversité de leurs parcours et saisies dans la variété de leurs lieux de vie : la chambre, l'atelier, l'usine, la maison bourgeoise, la rue.
Longtemps étouffées ou inaudibles, les voix de ces femmes, ouvrières (« mot impie », selon Michelet) ou autrices (au premier rang desquelles George Sand), militantes ou anonymes, aux corps assujettis ou triomphants, exploités et désirés, sont restituées par la force d'un style singulier. Toutes semblent se rejoindre in fine dans la figure de Lucie Baud, « révoltée de la soie », meneuse de grève en Isère et inspiratrice de Mélancolie ouvrière, saisissant livre-enquête ici reproduit en intégralité.
Michelle Perrot a elle-même assuré la sélection, l'agencement et la présentation des textes retenus, portant un regard résolument lucide et personnel sur plus d'un demi-siècle de recherche et d'engagement. Ce volume permet d'en mesurer toute l'ampleur.
Dès leurs premières incursions en Occident à l'extrême fin du VIIIe siècle, les Vikings héritèrent une réputation sulfureuse. Indignés par le sort que ces prédateurs venus du Nord réservaient aux riches abbayes, les clercs brossèrent d'eux un portrait sans nuances: barbares païens d'une cruauté inouïe, égorgeant hommes, femmes et enfants, buvant le sang de leurs ennemis dans des crânes et sachant, de surcroît, mourir dans un éclat de rire. Cette image de monstres sans toi ni loi - certains même n'hésiteront pas à les qualifier plus tard de surhommes - va perdurer jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle. Depuis, pour démêler le faux du vrai, le mythe de la réalité, les chercheurs ont sollicité l'archéologie, l'histoire, la numismatique, la philologie, la runologie et proposé une lecture plus subtile de cette société scandinave. Pillards, certes à l'occasion, mercenaires au service du plus offrant, les Vikings furent avant tout des marchands: vendeurs de fourrures, d'ambre et d'esclaves, acheteurs de tissus, d'armes et de grains. Ils furent également de grands artisans, mettant au point, entre autres, un bateau extraordinaire, aussi maniable en eaux peu profondes qu'en haute mer. Le droit coutumier et la religion des Vikings, d'une grande tolérance, jouèrent un rôle important dans le développement de cette société sans préjugés qui ignorait la violence gratuite et la torture. Ces hommes, dont la civilisation dura près de deux cent cinquante ans (v. 800-v. 1050) et qu'un concours exceptionnel de circonstances a portés sur le devant de la scène de l'histoire, apparaissent ici tels qu'ils turent réellement, loin des fantasmes de notre imagination.
Le titre de ce volume fait écho à un ouvrage collectif supervisé par Morin et intitulé L'Unité de l'homme, qui a ouvert en 1974 une grande enquête collective d'« anthropologie fondamentale », riche en développements sur « la Méthode ». Ce « Bouquin », lui, réunit les cinq premiers maîtres-livres de l'auteur publiés avant cette date. Ces livres, écrits d'une plume claire, demeurent plus accessibles à un large public que ceux qui ont suivi. Chemin faisant, on découvrira comment et pourquoi ce maître en sciences sociales ne peut pas être mis dans un tiroir disciplinaire :
- autodidacte, au fond, mais entré au CNRS grâce à la Résistance et pour un livre d'anthropologie écrit pendant son chômage :
- sociologue, si on veut, mais étranger aux chapelles.
- anthropologue, peut-être, mais des sociétés occidentales contemporaines.
Le laboratoire qu'il a fondé en 1960 a accueilli plusieurs atypiques comme lui, à commencer par Roland Barthes. Il s'appelle aujourd'hui, tout simplement, Centre Edgar-Morin. On l'aura compris : le premier chercheur qui ait travaillé sur le phénomène « yé-yé » (c'est lui qui a inventé le mot), l'homme qui a poussé Jean Rouch à tourner un film non plus sur l'Afrique mais sur Paris (Chronique d'un été, 1961, avec le tout jeune Régis Debray et la sémillante Marceline Loridan...), le premier intellectuel qui ait publié son analyse de Mai 68 (au mois de juillet), ne peut pas être fondamentalement mauvais...
C'est sans doute pour tout cela, parce que c'est un inclassable, un irrécupérable, un in-discipliné, qu'il fut et demeure un maître. Comme devraient l'être tous les maîtres : gourmand de culture, sans arrogance et attiré plus par le dialogue que par la controverse.
Paul Veyne est un savant hors pair : un immense historien de Rome, un très grand latiniste, doublé d'un intellectuel inclassable, déroutant, non conformiste, épris de liberté et étincelant d'humour.
Cet ouvrage permet de découvrir l'univers d'un homme curieux de tout, de suivre les cheminements de l'écrivain, de l'historien virtuose. La profusion des idées, les notations ou les éreintements jubilatoires, la phrase qui tranche net, le regard à l'affût des sujets les plus divers, l'appétit de savoir, les positions qui s'imbriquent et se superposent sont autant d'ingrédients d'une oeuvre originale, irriguée par la vivacité d'un style libre et inventif.
Derrière l'apparence trompeuse d'une légèreté parfois déconcertante, la pensée avance, toujours plus subtile. Sur des thèmes volontiers ardus, et abordés avec toutes les ressources de l'érudition, Paul Veyne offre au lecteur des points d'accroche chaque fois saisissants, par leur fantaisie, leur incongruité, leurs anachronismes réfléchis. Il finit ainsi par établir une sorte de familiarité avec des mondes et des hommes à première vue très éloignés de nous.
Mêlant autobiographie, études d'histoire antique, extraits de traductions de poésie latine et témoignages d'amitié, cet ensemble d'une exceptionnelle densité embrasse la majeure partie de l'histoire et de la littérature du monde gréco-romain, sans cesser d'être en dialogue avec nos poètes et philosophes contemporains.
L'oeuvre de Benjamin Stora se confond pour partie avec la mémoire et l'histoire de la guerre d'Algérie. Un de ses grands thèmes de recherche, intimement lié à son parcours individuel tel qu'il le relate dans trois de ses ouvrages. Dans Les Clés retrouvées, il évoque son enfance juive à Constantine et le souvenir d'un monde qu'il a vu s'effondrer ; dans La Dernière Génération d'Octobre, son militantisme marqué très à gauche avec son cortège de désillusions. Les Guerres sans fin témoignent d'un engagement mémoriel qui se fonde sur une blessure collective et personnelle que seules la recherche et la connaissance historiques peuvent aider à panser.
Benjamin Stora a étudié en ce sens le rôle spécifique joué par les grands acteurs de ce conflit singulier. Dans Le Mystère de Gaulle, il analyse l'attitude de ce dernier lors de sa prise du pouvoir en 1958 et sa décision d'ouvrir des négociations avec les indépendantistes en vue d'une solution de compromis associant de manière originale la France et l'Algérie. Dans François Mitterrand et la guerre d'Algérie, il montre les contradictions de celui qui, avant de devenir un adversaire de la peine de mort, la fit appliquer sans hésiter en 1957 en tant que ministre de la Justice au détriment des Algériens. C'est enfin de la longue histoire des juifs en terre algérienne qu'il est question dans Les Trois Exils.
Cet ensemble, qui porte la marque d'un historien majeur, permet de mieux comprendre la genèse, le déroulement et l'issue d'une tragédie où se mêlent un conflit colonial livré par la France, un affrontement nationaliste mené par les indépendantistes algériens et une guerre civile entre deux communautés résidant sur un même territoire. Ce sujet, resté sensible pour nombre de nos compatriotes, continue d'alimenter des deux côtés de la Méditerranée des débats passionnés.
L'art du portrait relève de l'autoportrait : on ne choisit pas par hasard d'isoler une figure parmi une multitude pour lui consacrer un livre sans exprimer quelque chose de soi... Pourquoi elle ou lui ? Et pas tel ou telle ? Peindre un tiers, c'est donner une image de soi.
Ces Vies philosophiques retracent les parcours de personnes pour lesquelles la philosophie n'était pas un jeu rhétorique ou sophistique, mais l'affaire d'une existence.
Montaigne, Charlotte Corday, Mme Roland, Théroigne de Méricourt, Olympe de Gouges, Germaine de Staël, Brummell, Nietzsche, Thoreau, Georges Palante, Camus, Bourdieu ont servi la philosophie et la pensée plus qu'ils ne s'en sont servis - au contraire de Freud, lui aussi portraituré ici mais comme le contre-modèle d'une vie philosophique !
J'estime en effet que la preuve du philosophe, c'est la vie philosophique qu'il mène - ou non... Il n'est pas tenu de réussir, mais, du moins, s'il veut être crédible, il est obligé d'essayer.
Ces Vies sont autant d'occasions d'édification existentielle.
M. O.
Les Parerga et Paralipomena, titre grec qui signifie « Accessoires et Restes », connurent un immense succès en Allemagne à leur parution, en 1851, et furent traduits en France entre 1905 et 1912. Bien qu'ils comptent parmi les textes majeurs d'Arthur Schopenhauer, ils n'ont fait l'objet, depuis, que de parutions marginales. Ils offrent pourtant aux lecteurs de l'auteur du Monde comme volonté et comme représentation un véritable kaléidoscope des grands thèmes traités par le philosophe : l'ennui, le désespoir, la bouffonnerie des comportements humains. Son pessimisme, qui lui fait dire que « la vie est une affaire qui ne couvre pas ses frais », connaît ici de nouveaux développements dans ses articles Sur le suicide ou Le Néant de la vie.
Schopenhauer propose un art de vivre pour remédier à la douloureuse condition humaine, sous la forme de conseils et de recommandations, comme de pratiquer avec prudence la compagnie de femmes. L'Essai qu'il consacre à celles-ci connut un vif succès auprès d'écrivains français tels Maupassant, Zola, Huysmans et tant d'autres dont Schopenhauer a nourri la misogynie.
Évoquant l'influence considérable de la pensée de Schopenhauer sur les créateurs de son temps, Didier Raymond souligne le paradoxe qui veut que son pessimisme ait eu sur beaucoup d'entre eux « les effets bénéfiques d'une libération longtemps attendue. Sa philosophie, écrit-il, confère enfin une certitude au sentiment de désespérance, d'extrême lassitude de l'existence ».
Par sa perspicacité philosophique et sa lucidité psychologique, comme par la clarté et la lisibilité de son écriture, cet ouvrage reste à cet égard un stimulant inépuisable.
« Prince des philosophes », selon Deleuze, « moment crucial de la pensée moderne », selon Hegel, Baruch Spinoza (1632- 1677) est considéré comme le philosophe le plus dérangeant du XVIIe siècle. Héritier dissident de Descartes, il décida de suivre la raison jusqu'au bout et élabora ainsi une philosophie radicalement neuve, aux conséquences révolutionnaires.
Ce volume permet d'accéder à l'intégralité de ses écrits dans les traductions originelles de Charles Appuhn, depuis Les Principes de la philosophie de Descartes jusqu'au chef-d'oeuvre qu'est l'Éthique, en passant par le Traité politique, le Traité théologico-politique, le Traité de la réforme de l'entendement, le Court Traité, les Pensées métaphysiques et la correspondance.
Outre la rigueur métaphysique préfigurée par le Court Traité et accomplie dans l'Éthique, on voit ici se déployer une réflexion de grande envergure et aux directions multiples. Politique d'abord : Spinoza traite du droit naturel, du contrat social, de la nature des régimes et des États, comme de la place des affects dans l'élaboration d'un champ social. Théologique ensuite : il teste une nouvelle méthode littérale de lecture de la Bible, en attribuant à l'interprétation une portion congrue. Morale enfin : le philosophe interroge les thèmes de la liberté, du bien et du mal dans leur existence même.
Autant de domaines où s'affirme la volonté de n'obéir qu'à la raison et d'en accepter les verdicts et les principes. Nul n'a mieux défini que Spinoza ce que signifie philosopher : « Ne pas rire, ne pas déplorer, ne pas haïr, mais comprendre. »
L'oeuvre de la grande helléniste que fut Jacqueline de Romilly a enchanté d'innombrables lecteurs en leur révélant la grâce et la beauté d'une civilisation sans pareille.
Ce volume rassemble l'essentiel des textes qui jalonnent cette fresque narrative. Jacqueline de Romilly y promène le reflet grec de ses lectures sur toutes choses, animée sans cesse par le sentiment que se joua là, pour l'homme en général et pour son destin personnel de femme de tête, de coeur et de culture, une révélation intime. Expérience qui a nourri son idéal humaniste.
Ses émerveillements constants devant la richesse et la splendeur du patrimoine qu'elle fait découvrir ici à travers les figures de la Grèce mythologique, historique et littéraire - Homère, Hector, Achille et Alcibiade, Périclès, Platon et Socrate - sont indissociables de son approche savante. En sa compagnie, nous suivons l'invention progressive des valeurs qui nous ont façonnés : douceur, tolérance, liberté, démocratie... Car pour Jacqueline de Romilly, « ce qu'a semé la Grèce ne cesse de revenir, de resurgir ». Sa pensée est aussi celle d'une femme qui plaida pour l'enseignement des humanités afin de lutter contre toutes les formes d'obscurantisme.
Ce volume contient : Hector - Homère - L'Amitié de Giraudoux avec l'hellénisme : Elpénor - L'Humanité d'Homère et les humanités - Alcibiade - La Grèce antique à la découverte de la liberté - La Littérature, ou le Passé vivant - La Douceur dans la pensée grecque - « Patience, mon coeur ! » - Ne me dis pas comment cela finit... Réflexions sur la tragédie grecque.
Ce volume rassemble, intégralement traduits pour la première fois et présentés en édition bilingue, tous les écrits de Jules César : les Commentaires, mais aussi les extraits des discours, des traités et de la correspondance conservés par les Anciens.
Il offre une lecture complète de son oeuvre, qui permet de mieux comprendre à quel point César a été un protagoniste majeur de l'histoire romaine dans son exercice du pouvoir, fondé sur l'idée d'une magistrature suprême au sommet de l'État, et son action réformatrice dans tous les domaines de la vie publique. Il éclaire aussi son influence décisive sur la vie culturelle de son temps, à laquelle il a fourni des apports tout aussi originaux que trop souvent ignorés. Soucieux de préserver le rayonnement de la langue et du patrimoine latins, César fit de Rome un grand centre intellectuel, mû par l'ambition d'ouvrir la connaissance au plus grand nombre et non de la réserver à une seule élite.
Enfin, loin de se réduire à une simple reconstitution des dernières décennies de la République romaine, cet ouvrage met en valeur la dimension littéraire de César. L'ensemble de ses lettres, les citations qui subsistent de ses discours, et la somme tout aussi riche des fragments de ses traités, révèlent les spécificités de l'éloquence césarienne. Un modèle du genre par sa rigueur et sa sobriété, qui font toute son excellence stylistique.
Citée pour la première fois dans la Bible mais aujourd'hui plus que jamais au coeur de l'actualité internationale, Jérusalem n'a cessé, au fil des millénaires, d'être aux avant-postes de conflits religieux qui prennent racines au temps du récit biblique mais qui sont aujourd'hui non résolus et sources de tensions quotidiennes. L'histoire de Jérusalem se confond d'une certaine manière avec celle de l'humanité tout entière, car chaque citoyen du monde peut se prévaloir d'un lien religieux, culturel, intellectuel ou sentimental avec la « cité de la paix » comme son nom hébraïque l'indique.
Comme ceux déjà parus dans la série sur les grandes villes du monde, ce volume se déroule en quatre parties - Histoire, Promenades, Anthologie et Dictionnaire - préfacé par l'écrivain et diplomate Olivier Poivre d'Arvor, il est le fruit d'un travail collectif qui a réuni, autour de Tilla Rudel, une équipe d'historiens, d'écrivains, de journalistes ou d'essayistes d'origines et de confessions diverses ayant tous en commun cette passion pour Jérusalem où ils ont vécu à un moment ou à un autre de leur vie, où ils ont écrit, étudié ou simplement déambulé à travers ses quartiers, ses ruelles secrètes, les collines qui l'entourent ou derrière les lourdes portes de ses églises, mosquées, couvents ou simples bâtisses, et ruines archéologiques dont elle regorge comme nulle part ailleurs...
L'histoire de la ville a été confiée à une équipe de quatre historiens chercheurs du CRFJ (Centre de Recherche Français à Jérusalem). La spécificité de cette ville appelant à un partage équilibré du traitement des trois religions pour lesquelles elle représente « la ville sainte », cette partie a également abordé aspects politiques, archéologiques et culturels de Jérusalem à travers les différentes périodes de son histoire.
Les promenades littéraires permettent d'aborder la ville sous toutes ses facettes, selon les affinités de chacun de leurs auteurs. Samuel Blumenfeld, critique de cinéma, a choisi d'évoquer Jérusalem à travers les films qui se passent à Jérusalem. Dominique Bourel, sociologue et historien raconte la Jérusalem allemande et ses exilés qui ont façonné la vie intellectuelle et universitaire à Jérusalem au XXe siècle. Sylvie-Anne Goldberg, historienne et chercheuse à l'EHESS et au CRFJ, s'intéresse à la route des pèlerinages vers Jérusalem, du Temple juif à la croisade chrétienne. Théo Klein, avocat et ancien président du CRIF, se promène dans la vieille ville avec son ami palestinien Ziad Kawass tout en rêvant avec lui d'une Jérusalem utopique où Israéliens et Palestiniens vivraient en paix dans une ville ouverte. Le père Jean-Michel de Tarragon, directeur de l'école biblique de Jérusalem, se promène à travers les Lieux saints : sur les traces d'Hérode pour retrouver Jésus...
Conçue selon un parti pris chronologique et historique, l'anthologie traverse les grandes époques de Jérusalem : de la Bible à la littérature israélienne et palestinienne contemporaine avec un choix très subjectif et évidemment non exhaustif car Jérusalem est un sujet inépuisable... Cette anthologie commence par le psaume 137 (136 selon la vulgate catholique) de l'Ancien Testament. Ce poème iconique rappelle que Jérusalem, depuis les temps bibliques était et reste dans l'imaginaire collectif de l'Orient comme de l'Occident, une cité emblématique, revendiquée par les trois monothéismes, comme une promesse d'un bonheur éternel. À partir de ce psaume, Tilla Rudel a construit une promenade dans le temps, littéraire, poétique, historique, politique parfois, à travers des récits et témoignages d'hommes et de femmes dont le parcours les conduisit un jour à Jérusalem. De la Bible à Amos Oz, Edward Saïd, Sayed Kashua ou David Grossman, du pèlerin de Bordeaux à La Jérusalem délivrée de Le Tasse ou du poème d'Herman Melville à ceux de Yehuda Amihai ou Mahmoud Darwich, Jérusalem est l'éternel sujet tour à tour vénéré, craint ou adoré, comme une chimère qu'il faut séduire par les mots pour ne pas risquer de s'y brûler.
À travers plus de 300 entrées, ce dictionnaire permet de découvrir Jérusalem de manière tour à tour insolite, historique, géographique ou politique. Du quartier d'Abu Tor aux quartiers arméniens, assyriens ou à l'Académie Rupin, des écrivains Agnon, Oz ou Yehoshua, de la cinémathèque au Dôme du Rocher ou à l'église Russe, ce dictionnaire nous invite à découvrir une ville autrement qu'à travers sa seule chronologie historique ou littéraire.
C'est pour avoir confondu morale et politique que l'on a fait à Machiavel une réputation d'auteur cynique. À tort. Le Prince est un manuel de gouvernement, comme il existe des manuels d'équitation. Le but d'un bon cavalier est de rester en selle ; le but d'un prince est de garder le pouvoir, de ne pas se faire désarçonner par un rival ou par le peuple. Gouverner, c'est d'abord conserver ce pouvoir, « c'est mettre vos sujets hors d'état de vous nuire et même d'y penser ». Le devoir de prince n'est point de faire le bonheur du peuple ; d'ailleurs le peuple « ne demande rien, sinon de n'être point opprimé ».
Ce que Machiavel met à jour, c'est le mécanisme du pouvoir sous l'Ancien Régime. Ses oeuvres politiques trouvent donc obligatoirement leur prolongement dans les oeuvres historiques : l'Histoire de Florence est le complément indispensable du Prince.
Or, un homme de la Renaissance ne serait pas cet homme complet qu'est le « courtisan » sans le sens du divertissement. Machiavel est aussi un poète et un homme de théâtre. La Mandragore est une pièce régulièrement reprise par les troupes d'aujourd'hui. Et ses Lettres familières le restituent au milieu de ses amis, attentif aux plaisirs des uns, aux chagrins des autres, enjoué et plein d'humour.
Cette édition réunit pour la première fois dans une traduction nouvelle l'ensemble des oeuvres de Machiavel. Un Dictionnaire de Machiavel, inédit, permet au lecteur de replacer l'auteur dans son époque et de se familiariser avec les termes clefs de sa pensée.
" Se séparant de ses prédécesseurs, Taine inaugurait ici un nouveau style d'Histoire. Il ouvrait la phase scientifique de l'étude de la Révolution française, multipliait les références, ne progressait que fort de leur appui.
Dans le même temps, il devançait ceux-là mêmes qui adopteraient bientôt la méthode nouvelle et annonçait une Histoire plus moderne encore : celle qui ne se contente pas d'être chronologique et politique mais, embrassant chaque époque dans son ensemble, se veut aussi l'histoire des mentalités, histoire sociologique, histoire totale.
De telles ambitions furent difficilement admises. La sévère liberté des jugements que Taine portait sur les hommes et les choses ne le fut pas plus aisément. Dès leur parution, Les Origines suscitèrent des polémiques que la mort de l'auteur ne put apaiser.
Ce grand livre, chef-d'oeuvre de style et de pensée, n'avait pas été réédité dans son intégralité depuis plus de trois quarts de siècle. Il revient au jour, étonnant de jeunesse, et la longue méditation par laquelle il s'achève développe les thèmes mêmes sur lesquels se poursuit encore le débat français ", écrivait François Léger à propos de la première édition chez " Bouquins ".
Ce volume contient : L'Ancien Régime ; La Révolution ; L'anarchie ; La conquête jacobine ; Le gouvernement révolutionnaire ; Le Régime moderne.
Dès sa parution, en 1835, De la démocratie en Amérique fut un événement pour tous ceux qui réfléchissaient des deux côtés de l'Atlantique sur l'art de gouverner les sociétés modernes.
Quinze ans plus tard, dans ses Souvenirs, Tocqueville tire la leçon de son expérience de député sous Louis-Philippe et de ministre de la IIe République. La démocratie française, nourrie de mythes jacobins, s'avère incapable d'atteindre à la stabilité de la démocratie américaine. Reste à traquer en historien les origines du penchant français pour la toute-puissance de l'État. L'Ancien Régime et la Révolution (1856) découvre la centralisation administrative en germe dans la monarchie absolue. Le premier, Tocqueville doute que 1789 opère une rupture dans l'histoire de France. Plus de deux cents ans de commémorations de notre glorieuse Révolution n'ont pu éliminer ce doute.
Histoire, sociologie ? L'oeuvre de Tocqueville est rétive aux classifications. À travers les domaines les plus variés, elle nous offre, avec une lucidité qui défie le temps, le portrait de la France d'aujourd'hui : l'Amérique comme l'ancienne France nous renvoient notre image, dévoilant notre difficulté persistante à concilier la liberté et l'égalité, le libéralisme et la démocratie.
Ce volume rassemble quelques-uns des livres majeurs de Lucien Jerphagnon, enrichis de nombreuses transcriptions inédites de ses cours, conférences et émissions de radio qui permettent de mieux appréhender l'étendue de son oeuvre. On perçoit ainsi la sensibilité particulière d'un homme aux multiples visages.
Homme d'enseignement tout d'abord, dont le sens de la pédagogie s'impose dès ses premiers cours au Grand Séminaire de Meaux, publiés ici pour la première fois. L'essentiel s'y trouve déjà : la vivacité d'un style « démocratique », selon Paul Veyne, qui d'emblée emporte le lecteur et le guide dans les raisonnements les plus complexes ; le ton, parfois badin, jamais guindé, toujours tenu ; surtout, le déploiement d'une pensée libre, profondément anticonformiste et d'une érudition inépuisable.
Homme de fidélité ensuite, tant à Vladimir Jankélévitch, auquel il consacre, avec Entrevoir et vouloir, un court texte étincelant, qu'à ses compagnons de toujours, les Anciens. Des présocratiques à Augustin et d'Homère à Julien l'Apostat, il n'a cessé de leur rendre hommage. Juste retour des choses, c'est son « plus cher disciple », Michel Onfray, qui, rappelant dans sa préface ce qu'il doit à son « vieux maître », prolonge cette chaîne de transmission et de savoir.
Homme de son temps enfin, comme en témoignent ses chroniques politiques des années 1990, Lucien Jerphagnon fut un virtuose du dialogue et de la conversation. Ses échanges avec Francesca Piolot, en conclusion de ce volume, sont à l'image d'une pensée en perpétuel mouvement où ne cesse d'affleurer la question qui traverse toute son oeuvre : pourquoi diable y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?
« Les mots et les concepts, écrivait Nietzsche en 1879, nous induisent continuellement à penser les choses plus simples qu'elles ne sont. » Conscients de cette mise en garde et du danger qu'il y a à prendre les mots pour des choses, les auteurs de ce Dictionnaire ont suivi un fil d'Ariane dans le labyrinthe de la pensée nietzschéenne : toute interprétation doit être elle-même interprétée, toute valeur doit à son tour être évaluée, avec ce sens de la nuance et cet « art de bien lire » recommandés par le philosophe-philologue, qui était aussi artiste et médecin.
Ce Dictionnaire Nietzsche, le premier d'une telle ampleur, fait pénétrer le lecteur dans le monde de la volonté de puissance, du surhumain et de l'éternel retour, dans l'univers de la tragédie et du gai savoir, dans la généalogie « humaine, trop humaine » des passions, des croyances, des idéaux et de la vérité elle-même. Il évoque aussi les adversaires et les alliés, les livres et les lieux, les arts et les sciences qui ont inspiré Nietzsche, reconstituant de proche en proche sa vie et son oeuvre. Ce Dictionnaire témoigne de l'inépuisable créativité du philosophe, esprit libre et solitaire, critique sans concession du passé et du présent, penseur intempestif d'une philosophie de l'avenir dont les remèdes, parfois radicaux mais le plus souvent extrêmement subtils, n'ont pas fini de nous solliciter et de mettre à l'épreuve nos manières de penser.
Plus de trente spécialistes de Nietzsche, français et internationaux, ont contribué à ce Dictionnaire qui non seulement cristallise l'état présent des recherches mais indique aussi des directions pour leur évolution future. Accessible à différents niveaux, il s'adresse à tout lecteur curieux, qu'il soit familier ou non de Nietzsche et de la philosophie, en lui offrant des points de repère et des analyses approfondies pour découvrir l'une des pensées les plus déterminantes de l'époque moderne et contemporaine.
Cette anthologie a pour ambition de mettre en résonance deux types de sources : les témoignages de ceux qui sont passés par le plus grand et le plus durable système concentrationnaire du XXe siècle, et les archives produites au quotidien par la bureaucratie qu'a été le Goulag, Direction Principale des Camps. Ou pour le dire autrement, confronter deux visions - celle du détenu et celle de l'administration concentrationnaire.
La littérature :
Les textes des témoins représentent un des éléments essentiels permettant de comprendre le phénomène concentrationnaire soviétique. C'est en grande partie grâce à la traduction d'oeuvres littéraires, et tout spécialement d'Une journée d'Ivan Denissovitch puis, une dizaine d'années plus tard, de L'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne, que cet univers acquiert une visibilité dans l'espace occidental. Cette littérature de témoignage constitue une trace essentielle des violences aux côtés des lieux, des documents d'archives et d'autres formes de postérité du Goulag (sociales, économiques, etc.). Elle est habitée par un souci mémoriel et/ou commémoratif : construire une trace de l'événement, créer un monument pour les morts. Cette dimension sera notamment explorée à partir des images du corps qui abondent dans les écrits sur les camps : corps souffrant, corps amputé, corps dégradé ; corps individuel, corps collectif. La littérature du Goulag constitue un corpus stratifié qui reflète les différentes étapes des répressions et donc l'évolution de l'institution concentrationnaire elle-même : ainsi les témoignages émergeant au moment de la Perestroïka diffèrent-ils de ceux écrits pendant les années du Dégel, lesquels sont très différents de ceux de l'immédiat après-guerre. Cette littérature documente non seulement la réalité des camps mais aussi la façon dont les identités individuelles et collectives ont pu être façonnées par la violence extrême. Les répressions staliniennes n'ayant fait l'objet d'aucune condamnation dans l'espace judiciaire, et en l'absence de témoignages produits à la barre, les textes littéraires ont constitué pendant une longue période la preuve principale de l'événement et ont porté l'entière responsabilité de cette attestation. En recourant à différentes formes de narration, les écrits des témoins contribuent bel et bien à rendre cette expérience de la violence extrême intelligible, lui donnent valeur de contenu culturel et en font un objet de pensée universel.
Les archives :
Depuis le milieu des années 1990, l'exploitation des archives du Goulag a considérablement enrichi notre connaissance du système concentrationnaire soviétique. Au terme de dix ans de travail mené par une équipe d'une quinzaine d'historiens, dont Nicolas Werth, est parue à Moscou la monumentale Istoria Stalinskogo Gulaga en 7 volumes, qui constitue à ce jour la publication de documents d'archives la plus complète sur cet univers concentrationnaire. Cette somme analyse le système du Goulag dans son ensemble et sous ses différents aspects, à la fois comme un lieu de répression politique et de « refonte » des détenus, comme un système économique de travail forcé, comme une immense administration constituant un véritable « État dans l'État », comme une société avec ses codes, sa sociabilité, ses conflits internes, sa vie quotidienne. Certes, l'immense « littérature bureaucratique » (en 1950, l'appareil central du Goulag reçut pas moins de 133 000 rapports écrits rendant compte de « la situation sur place ») est de qualité très inégale, entre « rapports de parade » adressés régulièrement par les plus hautes autorités du Goulag au ministre de l'Intérieur et documents internes échangés aux échelons plus modestes de l'appareil bureaucratique, généralement beaucoup plus informatifs et directs. Ces textes apportent un regard radicalement différent - et très instructif - sur le système concentrationnaire vu par ceux qui étaient en charge de son fonctionnement quotidien. Ils permettent, pour la première fois, de confronter le vécu du détenu, tel que nous le rapportent les témoignages, et celui du gardien, du chef de camp, du responsable de l'une des innombrables sections et directions culturelles, éducatives, économiques, administratives de cette immense machine bureaucratique qu'était la Direction principale des camps.
Dans cette fresque, Élisabeth Badinter, observatrice de l'évolution des moeurs et des mentalités, éclaire de façon inédite la société des Lumières, cette « tribu » intellectuelle qui inaugure les Temps modernes, ses grandeurs et ses faiblesses. Les savants et philosophes qui jusque-là constituaient la République des Lettres travaillaient le plus souvent en vase clos. Assujettis aux institutions, ils n'échangeaient qu'entre eux et pour leur seul profit. Avec l'émergence, au milieu du XVIIIe siècle, d'une opinion publique éclairée et de plus en plus puissante, le pouvoir change de camp. On voit naître chez les intellectuels trois « passions » successives qui suscitent rivalités et surenchères au prix d'affrontements parfois terribles.
La première de ces passions est le désir de gloire, et à travers lui l'apparition d'une nouvelle figure incarnée par d'Alembert, codirecteur de l'Encyclopédie avec Diderot : celle du philosophe soucieux de s'imposer comme le meilleur, qui aspire tout à la fois à séduire l'opinion et à s'attirer la reconnaissance de ses pairs. C'est ce même d'Alembert qui introduit une deuxième passion : l'exigence de dignité. Ayant conquis notoriété et autonomie aux yeux de leurs contemporains, les encyclopédistes, conscients du savoir dont ils sont les détenteurs, appellent désormais au respect de leur indépendance et se refusent à toute concession à une autorité extérieure. C'est alors qu'on assiste à la naissance et à l'affirmation de leur troisième grande passion : la volonté de pouvoir, représentée par Voltaire avec un courage qui force l'admiration. Autour de lui se forme un vrai parti politique, le parti des philosophes, qui modèle peu à peu la pensée de la bourgeoisie et prépare l'avènement de la Révolution au nom de la justice, de la liberté et de l'égalité entre les hommes.
Dans cette étude de grande ampleur, Élisabeth Badinter fournit autant de clés pour comprendre et décrypter l'histoire d'un monde intellectuel dont l'influence sur celui d'aujourd'hui est loin d'être dissipée.
Imprécateur et pamphlétaire « par amour », selon sa formule, Léon Bloy est un auteur de l'excès, de la démesure, de l'engagement total. Sa plume, si révoltée soit-elle, n'est pas celle d'un révolutionnaire : elle est d'abord animée par la défense des pauvres, la dignité de l'homme, l'amour de Dieu et la figure du Christ. Au mépris de tout confort social, intellectuel, spirituel, ce chrétien farouchement attaché à l'esprit des Évangiles s'est toujours situé en dehors de toute institution ou appartenance.
« Pèlerin de l'Absolu », il accepte de se faire mendiant pour gagner la liberté de dire la vérité, et il traque la bêtise dont l'illustration parfaite à ses yeux est « le bourgeois, cet homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser ». Le terme de « bourgeois » ne recouvre pas ici une catégorie sociale : le « bourgeois » est un état d'esprit, une idéologie, un inconscient, c'est même un langage, le langage des « lieux communs » dont Bloy fait la patiente exégèse. Bloy, qui intitule son premier livre Propos d'un entrepreneur de démolitions, s'en prend à l'esprit bourgeois en quoi il voit la haine de tout ce qui est beau et essentiel, il attaque ceux qui détestent l'Absolu et qu'il nomme les « théophobes ». Il pourchasse ainsi les métamorphoses de cette « théophobie » chez les politiques, les écrivains, les journalistes, les athées, et aussi, bien que ou parce que converti au catholicisme, chez les chrétiens eux-mêmes. Le catholique Bloy est en effet le plus sévère critique des petites et grandes bassesses des chrétiens de son temps, qu'il met en cause avec une violence magistrale, n'hésitant pas à se brouiller avec la majorité de ses coreligionnaires.
Les pamphlets occupent une place relative dans l'oeuvre de celui qui a tant indisposé ses contemporains. L'auteur des Méditations d'un solitaire et de L'Âme de Napoléon a bâti une oeuvre immense à travers laquelle se déploient une impressionnante philosophie de l'histoire et une réflexion sur la fin des temps digne des premiers chrétiens.
Les ouvrages dont est constituée cette oeuvre majeure ont sans cesse été éclipsés par un ou deux titres, et il ne fut guère aisé jusqu'à présent de se faire une idée d'ensemble des essais et des pamphlets d'un auteur si singulier. En réunissant la quasi-totalité des essais de Léon Bloy, des plus célèbres, comme l'Exégèse des lieux communs et Belluaires et Porchers, aux plus rares, comme Celle qui pleure, Le Révélateur du Globe et l'inachevé Dans les ténèbres, en passant par Le Fils de Louis XVI et Le Salut par les Juifs, ce livre constitue le plus considérable volume d'oeuvres de Léon Bloy jamais publié. Un siècle après la mort de l'auteur, survenue à l'automne 1917, l'oeuvre de celui qui ne voyait pas qu'il fût possible d'écrire autrement qu'« au seuil de l'Apocalypse » est ainsi à nouveau disponible et présentée dans sa cohérence.
Durant un quart de siècle, en cinq ouvrages successifs - histoire, témoignages, réflexions -, Simon Leys a proposé une interprétation de la Chine contemporaine qui n'a pas eu le don d'amuser les belles âmes ni les gens futés (politiciens, hommes d'affaires et sinologues dans le vent). On a pourtant jugé bon de rassembler ici ces irritants écrits, pensant qu'ils pourraient aider l'honnête homme et le lecteur de bonne foi à se poser les vraies questions : quelle sera l'issue de la longue et cruelle guerre que Mao et ses héritiers mènent depuis cinquante ans contre leur peuple ? et maintenant, comment se fait-il que, sur les boulevards de Pékin, d'obscurs et chétifs passants trouvent l'audace d'arrêter à mains nues les tanks de la tyrannie ?
Sa trilogie, Les Habits neufs du président Mao, Ombres chinoises, Images brisées, est bien l'acquis à jamais dont parle Thucyclide. Car, observateur, historien et penseur, Leys reste au long de ces pages surtout un homme, et un écrivain, chez qui la science et la clairvoyance se mêlent merveilleusement à l'indignation et à la satire. Ne cessons pas de relire Ombres chinoises, pour constater qu'au siècle du mensonge, parfois la vérité relève la tête et éclate de rire. Jean-François Revel.
J'admire la clarté du style de Simon Leys, qui est le résultat d'une pensée disciplinée et sans fard. Comme il aime et respecte passionnément la culture chinoise et le peuple chinois, il démolit cruellement les mythes que l'Occident avait édifiés au sujet de la Chine contemporaine, et pour nous qui n'en connaissions pas les réalités, il y a beaucoup à apprendre dans ses exposés incisifs. Czelaw Milosz.
Aujourd'hui, Simon Leys demeure le plus pénétrant, le plus élégant, le plus mordant - en un mot : le meilleur - des amoureux et des observateurs de la Chine. Ses livres sont indispensables. Susan Sontag.
Le titre de ce volume est emprunté au philosophe et poète épicurien Lucrèce (Ier siècle), l'un des représentants du matérialisme antique dont l'influence a été déterminante sur la pensée matérialiste et hédoniste de Michel Onfray. Les simulacres désignent dans la pensée épicurienne ces microparticules qui se détachent des corps et ont la même structure qu'eux : c'est grâce aux simulacres que les différentes espèces de perception sont rendues possibles.
Ce titre rassemble donc les dix-sept livres d'Onfray consacrés à la question de l'esthétique sous le patronage de cette pensée matérialiste. Car, pour Onfray, l'art n'est pas chose mentale, il est chose matérielle, il est perception et expérience d'un corps, tant celui du spectateur (ou de l'auditeur dans le cas de la musique) que celui de l'artiste lui-même. Comprendre un artiste, qu'il soit peintre, photographe, sculpteur ou musicien, c'est montrer comment son travail et son oeuvre viennent s'inscrire dans une biographie, un corps et un tempérament. Cette dimension éminemment matérialiste apparaît aussi dans ce volume en ce qu'il entend montrer que l'esthétique d'Onfray (rappelons que le mot esthétique vient du mot grec voulant dire « sensation ») est une esthétique « du corps élargi » en ce qu'elle entend ne pas se situer uniquement sur le terrain de la vue et de l'ouïe mais aussi de l'odorat, du goût et du toucher. Raison pour laquelle on trouvera ici deux livres d'Onfray sur la gastronomie, un livre sur l'oenologie et un livre sur l'érotisme, qui relèvent chacun à leur manière du domaine de l'art.