Surgi de l'au-delà, un casque géant tombe dans la cour d'honneur du Château d'Otrante et tue le fils du prince. Des guerriers de marbre descendent de leur socle et saignent du nez. Viendra d'Angleterre à leur suite, dans un concert de gémissements et d'enlèvements, de viols et d'assassinats et dans des décors de cachots, caveaux, confessionnaux, cimetières, châteaux et monastères baignés par la lune ou assaillis par l'orage, un cortège de nonnes sanglantes, de spectres bruyants, de moines impudiques, d'inquisiteurs masqués et d'orphelines ravies à leur couvent ou à leur fiancé...
De cette masse de prodiges et méfaits entretenus par le fol engouement du public émerge l'inspiration de quatre maîtres incontestés. D'abord Horace Walpole, initiateur du genre avec Le Château d'Otrante (1764), puis Ann Radcliffe, spécialiste du surnaturel expliqué et dont Le Confessionnal des Pénitents noirs (1797) montre le triomphe de l'amour sur l'Inquisition et ses chambres de torture. Avec Le Moine (1795) de Matthew Gregory Lewis, l'intervention directe du diable porte le surnaturel à l'incandescence et l'amour jusqu'au blasphème. Le roman de la terreur a cédé la place au roman du Mal. Un Mal qui, dans Melmoth ou l'Homme errant (1820) de C.R. Maturin, va quitter les lieux de l'inspiration gothique pour écraser des hommes sous leur destin aux quatre coins du monde.
Parmi les nombreux écrivains que le roman noir terrifiant a fascinés à l'aube du romantisme, de Balzac à Baudelaire en passant par Charles Nodier, Victor Hugo et George Sand, on retiendra l'auteur des célèbres Contes. Les Élixirs du diable (1816) d'Hoffmann constituent l'hommage du romantisme à un genre qu'on jugera frénétique et mal famé.
Depuis des siècles, depuis les cyclopes, magiciens et sirènes d'homère, en passant par les prodiges des mille et une nuits, les enchanteurs des chevaliers de la table ronde et les ogres des contes de fées, les hommes aiment à se donner le frisson en jouant avec leur peur.
Longtemps confinées aux auditoires des veillées les histoires à ne pas lire la nuit ont connu en france un extraordinaire succès lorsqu'elles sont entrées dans l'espace littéraire au xixe siècle. tous les grands écrivains : nodier, balzac, hugo, gautier, nerval, mérimée se sont amusés à semer l'effroi dans la raison des lecteurs. les meilleurs de leurs contes fantastiques dispersés aux quatre coins de leurs oeuvres sont réunis ici aux côtés des grands précurseurs (l'abbé prévost, le marquis de sade, cazotte), de petits maîtres inconnus, et d'illustres " amateurs " : tels le paléontologue boucher de perthes, le dessinateur gavarni, l'académicien philarète chasles, l'inattendu eugène sue.
Ils ont fait lever une vague d'ombres inquiétantes aux méfaits sans cesse renouvelés par leur imagination : revenants, vampires, monstres et démons de toute sorte, sans oublier le maître des maîtres : le diable.
Francis lacassin.
Baudelaire et mallarmé ont fait de poe un grand auteur français.
Un maître du fantastique, un ancêtre de la science-fiction, un poète digne de valéry. mais au prix d'un énorme sacrifice, qui consistait à ignorer un tiers des contes, la moitié des poèmes et presque toute l'oeuvre critique.
Cette édition offre, pour la première fois en france, la totalité des contes et des poèmes, accompagnés d'un choix d'essais critiques. les traductions de claude richard et de jean-marie maguin, jointes à celles de baudelaire et de mallarmé, font apparaître un auteur infiniment plus complexe et plus moderne.
Poe est d'abord un grand humoriste qui se joue de toutes les modes littéraires, un parodiste qui arrache tous les masques. un poète, enfin, qui ne cesse de dénoncer l'illusoire pouvoir des mots. le seul, pourtant, qui nous soit concédé, et qui nous aide à vivre. il fallait enfin rendre poe à p?, rétablir les dimensions d'une oeuvre qui, avant d'être française, reste profondément américaine. " dans les lettres comme dans la politique, disait-il, nous avons besoin d'une déclaration d'indépendance, et surtout - ce qui serait mieux, d'une déclaration de guerre.
" on ne saurait affirmer plus violemment son originalité.
Robert kopp, professeur à l'université de bâle.