Texte extrait d'Oeuvres, III (Bibliothèque de la Pléiade)
Le marquis de Sade (1740-1814) est souvent réduit aux infortunes de la vertueuse Justine et aux prospérités de Juliette la criminelle. Il a pourtant consacré les dernières années de sa vie à brosser le portrait de trois femmes d'énergie qui bousculent toute partition simpliste.
Enfermé par mesure administrative en 1801 à l'hôpital psychiatrique de Charenton, il lit Germaine de Staël et Chateaubriand, se passionne pour l'histoire nationale et, ayant vécu l'effondrement de l'Ancien Régime et les bouleversements de la Révolution, s'interroge sur le sens de l'histoire. Privé de liberté, il s'évade dans l'imaginaire, voyage à travers l'espace et le temps. Il retrouve la Provence de son enfance en racontant un fait divers tragique du XVIIe siècle : l'assassinat de la marquise de Gange par ses beaux-frères, avec la complicité du mari. Le roman est publié anonymement en 1813.
Sade fait ensuite traverser l'Allemagne du XIe siècle à Adélaïde de Brunswick, princesse passionnée et volontaire qui finit comme une sainte, puis il retrace, au tournant du XIVe au XVe siècle, l'Histoire secrète d'Isabelle de Bavière, qui lui permet de parler de la Révolution française et aussi de la médecine psychiatrique. Isabelle de Bavière, épouse d'un roi dément, y devient une flamboyante Marie-Antoinette médiévale. La guerre de Cent Ans, qui oppose de est une façon de raconter la Terreur. Ces deux derniers romans, restés manuscrits durant un siècle et demi, ont été révélés au milieu du XXe siècle. Ils attendaient une édition philologique.
À la suite de La Marquise de Gange, d'Adélaïde de Brunswick et d'Isabelle de Bavière, on trouvera un inédit : les notes de Sade à la lecture de Delphine de Germaine de Staël.
Edition établie et présentée par Michel Delon.
À l'école du libertinage, quarante-deux jeunes gens sont soumis corps et âmes aux fantasmes des maîtres du château. Premier chef-d'oeuvre du marquis de Sade, tout à la fois scandale et révolution littéraire, chacune de ces cent vingt journées de Sodome est un tableau des vices et perversions les plus criminelles, découvrant avec un inimitable génie la face noire et inavouable de l'homme.
Dolmancé à Eugénie : «Soyez de même extrêmement libre avec les hommes ; affichez avec eux l'irréligion et l'impudence : loin de vous effrayer des libertés qu'ils prendront, accordez-leur mystérieusement tout ce qui peut les amuser sans vous compromettre ; laissez-vous manier par eux... ; mais, puisque l'honneur chimérique des femmes tient à leurs prémices antérieures, rendez-vous plus difficile sur cela ; une fois mariée, prenez des laquais, point d'amant, ou payez quelques gens sûrs : de ce moment tout est à couvert ; plus d'atteinte à votre réputation, et sans qu'on ait jamais pu vous suspecter, vous avez trouvé l'art de faire tout ce qui vous a plu.»
Rejetant la douce nature rousseauiste, Sade dévoile le mal qui est en nous et dans la vie.
La vertueuse Justine fait la confidence de ses malheurs et demeure jusque dans les plus scabreux détails l'incarnation de la vertu. Apologie du crime, de la liberté des corps comme des esprits, de la cruauté, « extrême sensibilité des organes connue seulement des êtres délicats », l'oeuvre du marquis de Sade étonne ou scandalise. « Elle paraît bien n'être, dit Klossowski, qu'un seul cri désespéré, lancé à l'image de la virginité inaccessible, cri enveloppé et comme enchâssé dans un cantique de blasphèmes. » C'est aussi une oeuvre d'une poésie délirante et pleine d'humour noir.
Préface et commentaires de Béatrice Didier.
Quelles infortunes pour la vertueuse Justine ! Sans défense, elle se retrouve jetée malgré elle sur la pente du vice. Et ce n'est certainement pas au couvent qu'elle trouvera le salut : car entre les murs, où la débauche et la luxure sont les seuls mots d'ordre, les moines se livrent à des pratiques redoutables pour expier leurs désirs...
Mis à jour par Apollinaire, ce premier manuscrit offre la version condensée et originelle du plus grand chef-d'oeuvre de Sade.
Qu'attendons-nous aujourd'hui de Sade ? Y aurait-il enfin des raisons avouables de le lire ? Et faut-il ranger ses oeuvres sur le deuxième rayon de notre bibliothèque (de préférence derrière les volumes de la comtesse de Ségur) ou les exposer à la convoitise des visiteurs sur une étagère au-dessus de tout soupçon, entre Rousseau, qu'il a lu, et avec quelle attention, et Sainte-Beuve, qui l'a lu, et qui s'en excuse ? Quoi que l'on décide, l'heure est sans doute venue de faire au divin marquis une place dans la bibliothèque imaginaire de nos plaisirs (intellectuels) et de notre admiration. L'oeuvre pourtant n'a pas changé mais, souvent classés parmi les livres qu'on ne lit que d'une main, trop longtemps réservés aux psychiatres en quête de symptômes, les écrits de Sade existent désormais par eux-mêmes, pour ce qu'ils sont, des textes littéraires. Il y a quelque chance que leur entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade marque, selon la formule de Michel Delon, leur sortie définitive de l'enfer des bibliothèques. Sade, décidément, n'est pas un écrivain comme les autres. Mais c'est un écrivain - et le concept de «sadisme» ne suffit certes pas à le définir. En doute-t-on encore ? Il n'est que de le lire pour s'en persuader.
"Eh bien ! monsieur, dit-elle à Courval, croyez-vous maintenant qu'il puisse exister au monde une criminelle plus affreuse que la misérable Florville ?... Reconnais-moi, Senneval, reconnais à la fois ta soeur, celle que tu as séduite à Nancy, la meurtrière de ton fils, l'épouse de ton père, et l'infâme créature qui a traîné ta mère à l'échafaud... Oui, messieurs, voilà mes crimes ; sur lequel de vous que je jette les yeux, je n'aperçois qu'un objet d'horreur ; ou je vois mon amant dans mon frère, ou je vois mon époux dans l'auteur de mes jours ; et si c'est sur moi que se portent mes regards, je n'aperçois plus que le monstre exécrable qui poignarda son fils et fit mourir sa mère. Croyez-vous que le ciel puisse avoir assez de tourments pour moi, ou supposez-vous que je puisse survivre un instant aux fléaux qui tourmentent mon coeur ?... Non, il me reste encore un crime à commettre : celui-là les vengera tous."
Voici la suite de l'Histoire de Juliette (Tome 1, Lectures amoureuses n° 227) qui poursuit ses pérégrinations sous la plume de Sade, dont l'imagination morbide s'affermit de page en page, de même que ses réflexions philosophiques gagnent en profondeur et en subtilité... Aucune forme de dépravation n'échappe à Juliette, entourée de libertins au moins aussi féroces qu'elle et de femmes dont les passions macabres dépassent l'entendement?!
Le crime paie-t-il ? Assurément pour Juliette, qui finit ses aventures riche de tous ceux qu'elle a dépouillés, aux côtés de Noirceuil, nommé Premier ministre par le roi en récompense de sa carrière criminelle. Juliette prend les rênes du gouvernement en sa compagnie, ressassant son principe que « le vice amuse et la vertu fatigue ». Sans conteste, Juliette est le personnage féminin le plus autonome et le plus intelligent de la littérature du xviiie siècle. Mais il faut avoir le coeur bien accroché pour s'en apercevoir...
Faut-il encore présenter Sade (1740-1814) ? Sûrement pas. Mais relever que l'Histoire de Juliette est indisponible dans son intégralité depuis des lustres (hormis dans la Pléiade), ça oui ! La collection «?Lectures amoureuses » comble enfin ce vide, Jean-Jacques Pauvert estimant que Juliette est « la plus importante entreprise de librairie pornographique clandestine jamais vue dans le monde ».
A l'occasion du bicentenaire de la mort de Sade en 2014, cet ouvrage rassemble quatorze récits sulfureux, humoristiques ou tragiques du marquis. Les thèmes de la tromperie, de la séduction, de la ruse et du pouvoir cohabitent avec la farce et la satire.
Qu'attendons-nous aujourd'hui de Sade ? Y aurait-il enfin des raisons avouables de le lire ? Et faut-il ranger ses oeuvres sur le deuxième rayon de notre bibliothèque (de préférence derrière les volumes de la comtesse de Ségur) ou les exposer à la convoitise des visiteurs sur une étagère au-dessus de tout soupçon, entre Rousseau, qu'il a lu, et avec quelle attention, et Sainte-Beuve, qui l'a lu, et qui s'en excuse ? Quoi que l'on décide, l'heure est sans doute venue de faire au divin marquis une place dans la bibliothèque imaginaire de nos plaisirs (intellectuels) et de notre admiration. L'oeuvre pourtant n'a pas changé mais, souvent classés parmi les livres qu'on ne lit que d'une main, trop longtemps réservés aux psychiatres en quête de symptômes, les écrits de Sade existent désormais par eux-mêmes, pour ce qu'ils sont, des textes littéraires. Il y a quelque chance que leur entrée dans la Bibliothèque de la Pléiade marque, selon la formule de Michel Delon, leur sortie définitive de l'enfer des bibliothèques.
Sade, décidément, n'est pas un écrivain comme les autres. Mais c'est un écrivain - et le concept de «sadisme» ne suffit certes pas à le définir. En doute-t-on encore ? Il n'est que de le lire pour s'en persuader.
L'Histoire de Juliette, ou les Prospérités du vice, un des plus rares romans de Sade, suivit de peu Justine ou les Malheurs de la vertu. La publication de ces deux ouvrages valut au Divin Marquis (1740-1814) son arrestation sur ordre de Napoléon et son incarcération sans procès à l'asile de Charenton durant les treize dernières années de sa vie. Entre narration, dialogues philosophiques et scènes de coïts très violentes, Sade confirme avec Juliette son talent à exhiber la part la plus immonde des hommes tout en abordant des réflexions précieuses sur la société. Juliette, au contraire de sa larmoyante soeur Justine qui n'obtient que des injustices pour prix de sa vertu, est une nymphomane amorale dont les entreprises lui valent le succès et le bonheur. Sade confirme dans ces pages qu'il était un auteur inexorablement et absolument libre : c'est de cette subversion qui l'emporte sur l'obscénité qu'il dut payer le prix tout au long de sa vie...
L'Histoire de Juliette «?est assurément le roman le plus significatif, le plus réussi de Sade. Dans les précédents, les femmes n'y sont que des figurantes passives, tandis que dans celui-là on trouve une galerie de libertines implacables qui tiennent tête à des libertins fabuleux. [...] On ne peut aller plus loin dans l'horreur sexuelle qu'il ne l'a fait en pensée. La performance de l'écrivain fascine même lorsqu'on désapprouve son libertinage destructeur ». Sarane Alexandrian, Histoire de la littérature érotique, Seghers, 1989.
Qu'attendre d'une telle nation, et que diraient le Dante, Pétrarque, Machiavel, Michel-Ange et tant d'autres, s'ils revenaient dans cette ancienne patrie des arts et qu'ils vissent l'abjection et l'anéantissement où ils sont maintenant réduits ?
C'est en 1764 que le marquis de Sade découvrit à Dijon, au couvent des Chartreux, les antiques parchemins qui devaient lui permettre, cinquante années plus tard, de répandre une lumière nouvelle sur le rôle d'agent suprême tenu par Isabelle de Bavière dans les événements sanglants de son époque. Il faut dire que cette reine, préfiguration de Juliette et de Lady Clairwill, réunissait dans sa personne toutes les conditions propres à exalter l'imagination du jeune marquis : elle était belle, elle régnait, la cruauté faisait ses délices et le nombre de ses amants égalait celui de ses crimes. «Le crime se trompe quelquefois dans ses calculs et ce qu'on croit obtenir de lui n'est bien souvent que des remords. Puisse cette vérité se graver dans l'âme de tous les méchants qui veulent le commettre, oui, puisse-t-elle s'y imprimer à jamais autant pour leur propre repos que pour celui de leurs malheureuses victimes.»
" Français, vous êtes trop éclairés pour ne pas sentir qu'un nouveau gouvernement va nécessiter de nouvelles moeurs ; il est impossible que le citoyen d'un Etat libre se conduise comme l'esclave d'un roi despote [...]. En accordant la liberté de conscience et celle de la presse, songez, citoyens, qu'à bien peu de chose près, on doit accorder celle d'agir, et qu'excepté ce qui choque directement les bases du gouvernement, il vous reste on ne saurait moins de crimes à punir, parce que, dans le fait, il est fort peu d'actions criminelles dans une société dont la liberté et l'égalité font les bases [...]. " Sade.
Dans la prison d'Etat de Vincennes où il est ramené en 1778, Sade passe près de six ans pendant lesquels il écrit régulièrement à sa femme, seul lien désormais entre le monde et un univers carcéral particulièrement contraignant. Les lettres présentées ici tracent un portrait incisif, ironique et pathétique de l'auteur de La Philosophie dans le boudoir. Ce dernier lit et écrit dans une chambre sans feu, au milieu des immondices, des rats, de la vermine. Sans relâche, il dit sa souffrance et sa colère, rappelle l'injustice de sa condamnation, dénonce la bêtise des geôliers, réclame de l'extérieur quelque douceur, gâteau ou confiture, coussin ou drap de laine. Dans l'attente anxieuse d'une libération dont il ne connaît pas la date, il met en cause, de manière parfois virulente, les agissements de ses proches et le fonctionnement de la société qui est la sienne.
'Justine' was the Marquis de Sade's first novella, written in 1787, whilst imprisoned for two weeks in the Bastille. Although published anonymously, de Sade was eventually indicted for blasphemy and obscenity (without trial) for the authorship of 'Justine' at the behest of Napoleon Bonaparte.
Cette nouvelle, considérée comme un des chefs-d'oeuvre du divin marquis, fut écrite en prison au même moment que Les 120 journées de Sodome. En une centaine de pages, Sade a pu concentrer, pour la plus vertueuse des héroïnes, toute la cruauté du destin : un viol, deux meurtres, trois incestes et un suicide ! Mais si tout est ici poussé à son paroxysme, ces pages, modèle de retenue et de sobriété, décrivent l'enchaînement implacable des situations et tiennent le lecteur en haleine jusqu'à la dernière ligne.
" Français, vous êtes trop éclairés pour ne pas sentir qu'un nouveau gouvernement va nécessiter de nouvelles moeurs ; il est impossible que le citoyen d'un Etat libre se conduise comme l'esclave d'un roi despote [...]. En accordant la liberté de conscience et celle de la presse, songez, citoyens, qu'à bien peu de chose près, on doit accorder celle d'agir, et qu'excepté ce qui choque directement les bases du gouvernement, il vous reste on ne saurait moins de crimes à punir, parce que, dans le fait, il est fort peu d'actions criminelles dans une société dont la liberté et l'égalité font les bases [...]. " Sade.
Des discours contenus dans les romans de Sade, le grand public ne connaît que le fameux " Français encore un effort pour être républicains " extrait de La Philosophie dans le boudoir, du fait notamment de sa publication, en pleine période de passion sadienne (1965), dans la célèbre collection " Liberté " dirigée par Jean-François Revel, chez Jean-Jacques Pauvert, avec une préface de Maurice Blanchot, intitulée " L'inconvenance majeure ".
" La "dissertation" du pape Pie VI sur le meurtre " mérite la même attention. Elle se situe dans la quatrième partie d'Histoire de Juliette au moment où l'héroïne, arrivée à Rome et n'ayant de cesse de rencontrer le pape, obtient de lui, en échange d'une orgie, ce long discours.
Le pape s'exécute d'une manière magistrale, et donne un véritable morceau d'anthologie de la philosophie sadienne qui peut rivaliser tout aussi avec les méditations de Dostoïevski sur la question que celle de Kierkegaard, de Genet, ou de Bataille. Ce n'est pas d'ailleurs un hasard si Jacques Lacan, beaucoup plus que sur le " Français encore un effort... ", a porté toute son attention sur ce discours, tant dans son séminaire sur " l'éthique de la psychanalyse " (1959-1960) que dans son célèbre " Kant avec Sade " (1963).
Pie VI ne se contente pas en effet de déconstruire les préjugés courants de l'opinion sur la question, il renverse en effet toute notre conception du meurtre en niant son existence comme crime : c'est, selon lui, parce que l'homme se croit centre du monde qu'il accorde au meurtre un tel statut. Et c'est jusqu'à la mort elle-même qui, avec Pie VI, perd toute signification. Mais Sade, dans cette double négation, va plus loin qu'une simple remise en cause du sens commun, il propose une véritable métaphysique du néant où apparaît de manière limpide l'horizon même du désir sadien : la pulsion de mort. C'est là sans aucun doute que se tient toute la singularité de l'écriture de Sade, son audace, sa violence, son étrange génie.
Le livre scandalise, mais surtout il fait peur : très vite on sent que la subversion l'emporte sur l'obscénité. C'est pourquoi les contemporains lui refusent ce minimum de tolérance dont bénéficient ordinairement les écrits licencieux. Justine, on la rejette en bloc, sans appel, on voudrait la voir anéantie. L'oeuvre marque la naissance de la mythologie sadienne. En mars 1791, une lettre de Sade à Reinaud, son avocat à Aix, annonce en ces termes la sortie prochaine de Justine : " On imprime actuellement un roman de moi, mais trop immoral pour être envoyé à un homme aussi pieux, aussi décent que vous. J'avais besoin d'argent, mon éditeur me le demandait bien poivré, et je lui ai fait capable d'empester le diable. On l'appelle Justine ou les Malheurs de la vertu. Brûlez- le et ne le lisez point s'il tombe entre vos mains : je le renie. " Une première version est rédigée à la Bastille en 1787.
Lu par Anne Kessler